La
force d’une lettre de crédit comme mécanisme de paiement réside dans le fait
que son bénéficiaire, le vendeur de biens, doit être payé du moment qu’il
fournit à la banque émettrice les documents spécifiés par la lettre de crédit.
La banque a une obligation absolue de payer, sans regard aux possibles disputes
contractuelles entre l’acheteur et le vendeur. Les litiges dus au fait que les
biens ne rencontrent pas les attentes ou les accords spécifiés ou toute autre
demande, ne peuvent être utilisés par l’acheteur pour éviter de payer le
vendeur. Ainsi, la lettre de crédit est un contrat séparé, autonome du
contrat sur lequel elle est basée, par exemple, le contrat de vente. Une des
rares exceptions à ce principe d’autonomie est la fraude commise par le
bénéficiaire de la lettre de crédit.
Le
droit anglais est souvent utilisé entre les parties d’une vente internationale
de biens, particulièrement lorsqu’une des deux parties est domiciliée dans un
pays membre du Commonwealth. La jurisprudence de la Cour anglaise est de ce
fait d’une certaine importance pour ceux impliqués dans le commerce
international. Le cas discuté dans ce blogue confirme que l’exception de fraude
doit être interprétée de façon restrictive d’après le droit anglais.
Dans
l’affaire Alternative Power Solutions c.
Central Electricity Board et al., [2014] UKPC 31, le comité judiciaire du
Conseil privé (le CJCP) a clarifié les principes juridiques qui doivent être appliqués
lorsqu’une exception de fraude est invoquée afin d’empêcher le vendeur
d’encaisser la lettre de crédit. Le jugement du CJCP confirme que l’exception
de fraude ne pourra être utilisée qu’en des circonstances exceptionnelles.
En
2010, l’entreprise Alternative Power Solutions (« APS ») gagne un
appel d’offres lancé par la Central Electricity Board (« CEB ») à
l’île Maurice pour la fourniture de 660 000 ampoules de lumière
fluorescente. Le contrat qui s’en suit prévoit que CEB a le droit d’inspecter la
marchandise avant qu’elle ne soit envoyée. Les litiges entre les parties sont
soumis à l’arbitrage. Une lettre de crédit irrévocable est émise par la Banque
Standard qui en avise CEB. Seulement, il n’existe aucune obligation de
présenter un certificat d’inspection ou de document similaire à la banque pour
que la lettre de crédit soit payée.
Des
différences d’opinions s’élèvent entre les parties à l’égard de l’identité du
manufacturier des ampoules de lumière, des modalités de l’inspection et du port
d’envoi. CEB dépose une demande d’injonction pour empêcher la Banque Standard
de payer la lettre de crédit. Pendant l’audience, le représentant d’APS indique
qu’il n’y a aucune objection de procéder à une inspection en accord avec les
termes du contrat et qu’aucune expédition n’aura lieu à moins qu’une inspection
ne soit menée à la satisfaction de l’acheteur. La Banque Standard, quant à
elle, indique qu’elle ne procédera à aucun paiement jusqu’à ce que la
marchandise soit expédiée. Du coup, l’acheteur rétracte sa demande d’injonction
mais les ampoules sont tout de même envoyées sans que l’inspection n’ait lieu.
Il est loin d’être clair cependant que le représentant du vendeur qui avait
promis le contraire devant la Cour était au courant de cela au moment de son
affirmation.
Se
fondant sur la conduite d’APS, CEB cherche à convaincre le tribunal qu’on
devait en déduire qu’APS n’avait nullement l’intention d’expédier les ampoules
qu’elle avait convenu de fournir et qu’elle avait donc agi frauduleusement afin
de s’approprier le prix d’achat. Pour une seconde fois, CEB intente, et cette
fois-ci obtient, une injonction provisoire
interdisant la Banque Standard de payer la lettre de crédit. Quelques mois plus
tard, la Cour fait de l’injonction provisoire une injonction interlocutoire,
confirmant qu’APS n’a pas le droit de réclamer le paiement de la lettre de
crédit. La Cour d’Appel de l’île Maurice confirme la décision du tribunal de
première instance.
Le
CJCP renverse le jugement de la Cour d’Appel et annule l’injonction. Le CJCP se
dit en accord avec les juges des tribunaux inférieurs qu’une injonction doit
seulement être accordée pour empêcher la banque de payer la lettre de crédit
lorsque l’exception de fraude s’applique et que la banque est au courant de la
fraude. Cependant, le test pour déterminer si l’exception s’applique n’était
pas le bon. Le test appliqué par le juge de première instance était celui de
savoir si CEB avait soulevé, à première vue, « une cause défendable
qu’il pourrait y avoir une tentative de fraude » de la part d’APS, la
question étant d’établir s’il y avait réellement eu fraude devant être
définitivement décidée par la Cour ou, dans ce cas, par l’arbitre, par une
procédure subséquente.
Après
avoir examiné un certain nombre de précédents, le CJCP détermine que les tests
pour décider de la disponibilité de l’exception de fraude au stade de
l’injonction interlocutoire et au procès ne sont pas les mêmes. Au stade
interlocutoire des procédures, autrement dit avant que l’injonction ne devienne
finale, le test correct, selon le CJCP, est de savoir s’il est
« sérieusement défendable que sur la foi de la preuve disponible, la seule
inférence réaliste possible est que le bénéficiaire de la lettre de crédit ne
puisse pas avoir honnêtement cru en la validité de sa demande [pour le
paiement] ». Une injonction interlocutoire ne peut seulement être accordée
que si ce test est réussi. Le CJCP se dit d’avis que l’expression
« sérieusement défendable » est censée imposer un test
significativement plus strict que celui de la « bonne cause
défendable », sans parler de celui de la « sérieuse question à
débattre ».
Dans
le cas présent, il n’avait pas été soumis, devant les tribunaux de première
instance, que les documents présentés à la Banque Standard étaient des
contrefaçons ou qu’ils contenaient, à la connaissance d’APS, des informations
clairement frauduleuses. Étant donné que les conclusions concernant les
allégations de fraude faites par CEB ne sauraient être établies qu’une fois soit
faite une analyse minutieuse de la véritable position contractuelle entre le
vendeur et l’acheteur, de telles conclusions ne pouvaient légitimer l’émission
d’une injonction interlocutoire contre la Banque Standard. Aussi, le fait que
cette dernière était au courant du litige contractuel entre le vendeur et
l’acheteur, et même impliquée dans la procédure judiciaire, n’avait aucune
incidence sur son obligation d’honorer les termes de la lettre de crédit.
Bien
que cette affaire soit un bel exercice de sémantique par la magistrature
anglaise, elle offre une leçon à tirer. À savoir, si comme acheteur de biens à
être payés par le biais d’une lettre de crédit vous avez des exigences
spécifiques que vous considérez comme des conditions préalables au paiement et
que celles-ci peuvent être objectivement documentées, il faut alors les inclure
parmi les documents qui devront être présentés à la banque pour déclencher le
paiement. Ne comptez pas sur la Cour pour vous prendre au mot que le vendeur
n’adhère pas aux termes de l’accord.
Pour plus d'informations sur ce qui précède, veuillez contacter par courriel ou téléphone Martin Aquilina, maquilina@hazlolaw.com ou au 1.613.747.2459 ext 308.
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